1972-1977 : La Pénétrante Nord
Figure 1 – Pénétrante Nord du Mans, Maquette du projet, 1970 ; Ministère de l’Équipement, Cany maquette. Projet non retenu ; AM Le Mans
Figure 2 – Aménagement du Vieux Mans, 1947. Plan d’ensemble du quartier avec la mention des immeubles « antiquités intéressantes à garder, les immeubles en bon état « sans intérêt artistique mais à garder », et « façades ou rues à conserver », AM Le Mans (14Fi3915).
Figure 3 – Maison de famille 59 rue Denfert Rochereau, avant destruction ; 1946 ou 1947, collection privée.
Figure 4 – Photo de famille, rue Denfert Rochereau, côté impair en direction de Coulaines, avant destruction ; 1947, collection privée.
Figure 5 – Photo de famille, côté pair de la rue Denfert Rochereau, avant destruction, 1947 ; collection privée.
Figure 6 – Et 6bis Plan de sauvegarde Prunet, 1974 ; AM Le Mans
Figure 7 – Parkings quai Louis Blanc, avant aménagement AM Le Mans
Figure 8 – Parkings quai Louis Blanc, avant aménagement AM Le Mans
Figure 9 – Vue aérienne des travaux quai Louis Blanc, section entre les tours du Vivier et Saint-Hilaire, 19/06/1984, AM Le Mans (15 Fi CUM69/11)
La rénovation du Vieux Mans et la voirie le long du quai Louis Blanc
Après la seconde guerre mondiale, dans le cadre de la revitalisation du Vieux Mans conduite sous les maires Jean-Yves Chapalain (1947-1965) puis Jacques Maury (1965-1977), le quai Louis Blanc, construit en 1872, fit l’objet de plusieurs projets de rénovation urbaine. Entre 1961 et 1963, un premier programme, conçu par l’architecte urbaniste Albert Laprade (1883-1978), architecte pionnier des secteurs sauvegardés (Sarlat, le Marais à Paris) et architecte de la reconstruction du Mans, prévoyait la réhabilitation du quartier Saint-Benoît et du quai par la destruction du bâti ancien et la construction d’immeubles HLM le long d’une large voirie. L’enceinte devait être dégagée et précédée d’un jardin public, mais les nouveaux immeubles, offrant une façade rectiligne de près de 400 m de long, qui devaient comprendre trois à six étages droits, l’auraient masquée. Le Ministère, par le biais de l’architecte en chef des Monuments Historiques, dont relève l’enceinte et ses abords, approuva globalement le projet, sous réserve de diminuer la hauteur des immeubles, mais les habitants, par l’association « Renaissance du Vieux Mans » et de son trésorier, Guy Porcheron, s’y opposèrent fermement et s’inquiétèrent de la disparition du vieux quartier et de l’invisibilisation de l’enceinte (lettre à M. le Maire du 1er avril 1962 ; lettres au Ministre). Le projet dut être révisé : le Ministère recommanda de morceler les unités immobilières pour ménager des vues sur le rempart depuis le quai, de prévoir une couverture en ardoise et l’emploi de matériaux traditionnels. En 1966, l’architecte en chef des monuments historiques Pierre Prunet, en charge de la Sarthe, de la Mayenne et de la Loire-Atlantique (1964-1974), se vit confier le projet revu selon les recommandations du Ministère : de nouveaux aménagements avec de petits îlots d’un étage espacés les uns des autres et rythmés par l’enceinte, furent alors prévus, avec voie rapide et voirie en trémie. Seul le quartier Saint-Benoît, déclaré insalubre par les autorités, fut réhabilité dans le cadre de ce nouveau programme (en réalité ce quartier était, à tort, déclaré insalubre, car les propriétaires n’étaient pas autorisés à lancer des travaux de restauration. On se trouvait, ici, comme lors de la transformation du centre de la ville, avec la Percée Centrale, devant un conflit entre les défenseurs du patrimoine et des urbanistes désireux de “moderniser” un quartier. De belles demeures de Saint-Benoît y ont laissé leurs pierres !).
Le projet de « pénétrante nord »
Ces projets de voirie, s’ils ne virent pas le jour, firent toutefois émerger des réflexions autour des axes de circulation en centre-ville, des liaisons avec les nouveaux pôles de développement en périphérie et avec l’autoroute de l’ouest dont le tronçon jusqu’au Mans était en construction au début des années 1970. À partir de 1972, un projet de 4 voies, devant permettre la jonction entre la future autoroute A11 et le centre-ville fut proposé par l’État. Cette voie d’une longueur de 5500 mètres devait relier le centre ville et l’autoroute en quelques minutes. En préparation, la ville acheta les terrains en bord de Sarthe, et les habitations furent détruites le long du quai Louis-Blanc, malgré l’avis des associations de sauvegarde du patrimoine.
En 1975 le tracé, passant par Coulaines et Saint-Pavace, fut présenté au public. La pénétrante nord devait rejoindre le boulevard Demorieux en passant en contrebas de l’enceinte romaine du Mans. Les associations s’opposèrent fermement au projet : leurs craintes portaient sur l’impact des travaux de creusement en bord de rivière sur la fondation de l’enceinte, sur la circulation des véhicules et la pollution liée aux gaz d’échappement, sur les conséquences des vibrations causées par le trafic routier. Quant aux Manceaux, ils étaient excédés par la décennie qui venait de s’écouler, faite d’une succession de travaux – ceux de la Percée Centrale et de l’aménagement de la place de la République, en particulier – qui avaient lourdement perturbé le cours de leur existence. L’une des raisons de l’échec du maire sortant, Jacques Maury, en 1977, fut la réputation de démolisseur du patrimoine – et pas seulement antique- qui lui fut attribuée. À cela, s’ajoutait le désarroi des habitants de Coulaines et Saint-Pavace, dont le territoire allait être balafré par cette large voie. L’affaire de la pénétrante nord fut la goutte en trop.
Devant l’opposition virulente des habitants et associations, le nouveau maire Robert Jarry (1977-2001) et le conseil municipal à majorité communiste modifièrent le projet de tronçon routier jouxtant l’enceinte. En septembre 1977, la municipalité annonça que le réseau routier des berges de la Sarthe ne serait pas différent des autres voies du centre-ville, et que des aménagements seraient réalisés afin de générer le moins de vibrations possibles sur l’enceinte. Le projet de pénétrante nord fut abandonné.
Cependant le 28 décembre de la même année, le Conseil d’État déclara les travaux de construction de la pénétrante d’utilité publique, et contredit le projet de la municipalité. Cette décision fâcha grandement la population mancelle, première concernée, qui s’estimait ignorée par le Conseil d’État. Le nouveau projet préparé par les services de l’Equipement avait un coût moindre (5 millions de francs tout de même) et prévoyait un passage en trémies au niveau des ponts Gambetta et Yssoir, pour diminuer l’impact négatif. La municipalité y donna son feu vert à 28 voix contre 15, mais sous réserve d’aménagements et à condition que toutes garanties soient données sur d’éventuelles répercussions sur la fondation de la muraille. « Effectivement, la menace de la pénétrante nord ne disparut pas immédiatement avec l’élection de la liste Jarry. Elle a longtemps plané et nous nous sommes, un temps, demandé si la municipalité n’allait pas s’aligner sur le projet en cours, comme elle le fera pour la “rénovation” du quartier Saint-Benoît. » (témoignage S. Bertin)
L’abandon du projet et le dégagement de l’enceinte romaine
La construction de cette voie rapide n’eut toutefois jamais lieu, puisqu’il fut finalement décidé que la jonction entre le centre-ville et la porte de l’Océane, soit l’échangeur routier permettant d’accéder à l’A11, serait aménagé au nord de la ville dans la commune de la Chapelle Saint-Aubin, donnant accès au centre-ville via l’avenue Rhin et Danube, ainsi qu’à l’ouest de la ville, avec une sortie à La Foresterie, et l’arrivée en ville par la route de Laval et l’avenue Rubillard) Le 12 juillet 1978, l’autoroute reliait Le Mans à Paris. Le long du quai Louis Blanc, les espaces libérés en prévision de la « pénétrante nord», devinrent des terrains vagues, occupés par des parkings sauvages et offrant un triste paysage de détritus en tout genre, dont les riverains ne manquèrent pas de se plaindre. Ils furent dès lors aménagés en parkings provisoires mais ce n’est qu’à partir de 1984/85, dans le cadre du programme de restauration de l’enceinte, qu’ils commencèrent à être aménagés en espaces verts. La section à droite du tunnel, de la tour du Vivier à la tour Saint-Hilaire, fut concernée en premier, tandis que la section à gauche du tunnel, de la tour du tunnel à la tour des Pans de Gorron, fit l’objet d’une nouvelle campagne de travaux à partir de 1994, pour un montant de 25 millions de francs. Dès lors la population prit réellement conscience de l’existence de cette « muraille », jusqu’alors négligée, car camouflée derrière un bâti protecteur.
Désormais dégagée et sauvée d’aménagements routiers risqués, l’enceinte bénéficie d’un écrin vert tout au long du quai Louis Blanc, tout en devant être surveillée, en raison des nouveaux risques environnementaux et climatiques auxquels son dégagement l’expose.
Bibliographie
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BRÉAU Jules,
Une autoroute pour traverser le Mans ? Les associations se mobilisent contre le tracé de l’équipement,
“Le Monde”, 1er février 1978, consulté en ligne le 22/02/2024.
Auteur : Bertrand, juin 2024 avec la collaboration de Serge Bertin, mai 2024.