05 juillet 2024
Journée d’études MURUS : MUrailles Romaines à l’Unesco et Sociétés
Organisé par Estelle Bertrand et Élodie Salin
Lieu et horaires : Auditorium du Carré Plantagenêt
05 juillet 2024
Organisé par Estelle Bertrand et Élodie Salin
Lieu et horaires : Auditorium du Carré Plantagenêt
Sa construction
La tour Madeleine flanque l’enceinte romaine du Mans sur sa face occidentale côté Sarthe ; elle se situe entre la tour de Pans de Gorron, au niveau de l’angle nord-ouest, et la tour Hueau, aujourd’hui disparue. De forme semi-circulaire à talon, ou en U, son emprise sur le mur s’étend sur 7,46 mètres, pour un rayon de 3,70 mètres formant une avancée de 5,65m, ce qui correspond aux mesures standard des tours en U (Oigny, Ecoles, Vivier, Ardents, Tucé, Estang). Tour organique* implantée à l’oblique de la courtine, elle assurait également le renfort du mur construit à mi-pente. Haute de plus de 14 mètres pour sa partie antique, elle possède un soubassement en grand appareil formé de trois lits de blocs dont le premier forme sa plate-forme de fondation. Les travaux de dégagement effectués en 1984 ont permis de mettre au jour, sur cette plate-forme de fondation, la marque d’un sillon circulaire tracé pour donner la forme de la tour.
Trois baies en arc en plein cintre ouvertes vers l’extérieur éclairaient le premier étage installé au-dessus d’une chambre basse aveugle. Un second niveau, auquel on devait accéder par une échelle mobile, a quant à lui conservé une ouverture de taille plus réduite. Sous les fenêtres de la chambre, un cordon de briques plus épais, formé de six briques, permet de situer le départ du parapet protégeant le chemin de ronde ; la hauteur du parapet s’élevait en cet endroit à 1,80m d’après les indices de maçonnerie encore conservés.
Ses décors
Le parement de la tour possède seize plages successives en petit appareil dont les dix premières sont décorées par différents motifs, formés d’assemblages de moellons de calcaire clair et de grès sombre (roussard) placés entre des rangées de briques. Parmi ces formes se trouvent : des lignes horizontales alternant trois lits de moellons bruns et deux lits de moellons clairs ; des lignes obliques à un brin formées de moellons bruns et clairs décalés d’une ligne à l’autre ; des lignes obliques à deux brins disposées de droite à gauche ; des motifs en dent de scie, des losanges pleins, des cercles pointés. La première rangée des blocs de soubassement, en grand appareil, présente également des décors de bossage formant des quarts de cercles, décors qui ornaient aussi une partie des blocs de la courtine dans ce secteur.
L’intérêt des érudits pour la tour
Au cours du XIXe siècle, dans un contexte de naissance de l’archéologie moderne, l’enceinte romaine du Mans et en particulier la tour Madeleine ont intéressé les érudits locaux et nationaux. C’est le cas notamment de l’érudit normand Arcisse de Caumont (1801-1873), fondateur de la Société Française d’Archéologie, qui porta une attention particulière à la tour lorsqu’il visita Le Mans en 1857. D’ailleurs, il la mentionne sans la nommer dans son « Rapport verbal » publié dans le Bulletin monumental de la Société française d’archéologie. Dans une logique de sauvegarde, il effectue plusieurs dessins dont celui d’une tour « Une des plus hautes et des mieux conservées de toutes celles qui restent » que nous pouvons identifier comme la tour Madeleine grâce à la mention de deux ouvertures de l’époque, et à sa cheminée. En 1881, pour l’abbé Robert Charles (1847-1887) dans la Revue Historique et archéologique du Maine, la « tour Magdeleine » est toujours considérée comme « [l’] une des plus belles de l’enceinte ». L’abbé en reproduit d’ailleurs le dessin publié dans le Bulletin Monumental en 1857 en lui donnant bien le nom de tour Magdeleine (fig. 5). Quelques années plus tard, elle est au centre des projets de dégagements élaborés par Robert Triger.
Sa restauration
À l’issue d’achats successifs de parcelles par la ville du Mans à partir de 1931, la tour est dégagée en 1941. Elle ne fait cependant encore l’objet d’aucune restauration. Dans les années 1970, un projet de voie rapide (insérer un lien vers la fiche « pénétrante nord ») sur le Quai Louis Blanc le long de la face occidentale de l’enceinte est prévu (insérer un lien vers la notice « pénétrante nord »). Cependant, après divers effondrements du mur pendant les années 1970 (une partie du mur s’écroule après la destruction des maisons du quartier Saint-Benoît en 1972 ; de même en 1976, rue des Fossés-Saint-Pierre insérer un lien vers la fiche « Eboulement rue des Fossés Saint-Pierre) le projet inquiète et mobilise les défenseurs de l’enceinte. Il est finalement abandonné par la nouvelle municipalité élue en 1977, et le nouveau maire, Robert Jarry (lien : https://maitron.fr/spip.php?article88466) signe avec l’État une convention de restauration de l’enceinte en 1980. Cet accord permet le début de travaux de restauration, de dégagement, de recherche archéologique et de mise en valeur de cette partie de l’enceinte où se situe la tour Madeleine. Les travaux sont confiés à l’entreprise Lefèvre et la tour est restaurée en 1985 : ses décors sont restitués et les blocs de soubassement, en partie épierrés, sont remplacés.
Bibliographie :
Le projet de rénovation de la rue des Fossés Saint-Pierre
Dans le cadre des grands travaux urbains voulus par le sénateur-maire Jacques Maury (https://www.senat.fr/senateur/maury_jacques000179.html), la municipalité du Mans avait entrepris le projet ambitieux de dégager la rue des Fossés Saint-Pierre pour remédier aux problèmes d’insalubrité et d’insécurité signalés par les résidents du quartier. Le processus débute par l’acquisition de l’ensemble des bâtiments de la rue des Fossés Saint-Pierre le 4 août 1976, suivie de la conclusion d’un contrat avec l’entreprise Cardem, qui sous-traite une partie des travaux à l’entreprise Dumortier.
Ces travaux, effectués entre le 19 octobre et le 19 novembre, consistent en une série d’arrachements progressifs des bâtiments adjacents à l’enceinte, principalement réalisés à l’aide de pelles mécaniques, entraînant des vibrations et des chocs qui fragilisent la structure même de l’enceinte et des maisons situées à l’aplomb. Ce manque de minutie, aggravé par l’absence de mesures de protection adéquates (telles que des structures d’étaiement), ont contribué à l’effondrement ultérieur de l’enceinte. De plus, un creusement supplémentaire d’une profondeur de 0,50m, à la demande d’un jardiner municipal soucieux de rapporter de la bonne terre végétale, sans consultation d’experts, a exposé les fondations au gel, aggravant davantage la situation.
L’effondrement du mur
Le 19 novembre 1976, ces facteurs cumulés aboutissent à l’effondrement partiel de l’enceinte, révélant une connaissance insuffisante de l’état de conservation de la structure et entraînant des conséquences désastreuses pour les résidents de la rue Saint Flaceau. À 9h 45, deux nouveaux coups de pelle ébranlent les immeubles et provoquent des fissures au sol du rez-de chaussée de la maison du 19, faisant sortir les locataires affolés. À 15h, « on entend comme un coup de tonnerre » (J. Couasnon, riveraine) : le mur s’effondre, mais sans faire de blessés, la ville ayant entretemps évacué les locataires. Dans la soirée, un autre effondrement se produit au niveau du numéro 17. Contrairement à ce qui fut prétendu dans les premiers temps, ce n’est pas l’enceinte romaine qui s’effondra mais les contreforts médiévaux qui avaient été érigés devant elle au XIVe siècle, dans le contexte troublé de la guerre de Cent ans : les archéologues Joseph Guilleux et Jacques Biarne ne manquèrent pas de clarifier dans la presse ce qui était alors une confusion courante dans l’esprit des Manceaux. La muraille, c’était la vieille muraille, et on ne faisait guère la distinction entre les époques.
Près de la tour du Bourreau, également du XIVe siècle, le mur apparut sur une longueur de 9 m, présentant un fort dévers provoqué par le creusement du terrain en avant de l’enceinte.
Les travaux de reconstruction
En réponse à cet accident, des mesures d’étaiement sont prises dès janvier 1977, visant à stabiliser la zone et à prévenir de nouveaux effondrements. Une nouvelle municipalité venait d’être élue, l’ancienne ayant selon toute vraisemblance fait les frais de l’événement de trop.
Les mesures d’urgence incluent notamment le renforcement des bâtiments restants à l’aide de structures d’étaiement temporaires et de chaînages pour consolider les fondations, le temps des expertises destinées à évaluer l’ampleur des dommages et à permettre les études techniques. En mars 1980, un projet de restauration est présenté, axé sur le renforcement de la structure par la remontée des talus, la création de terrasses maçonnées et la restauration des murs. De fait, les maisons numéros 19, 17 et 17bis sont démolies pour être remplacées par le jardin actuellement connu sous le nom de jardin des vignes. Le projet se concentre sur les numéros 11 et 23 de la rue Saint-Flaceau, adjacents à la rue des Fossés Saint-Pierre avec la construction de talus et de terrasses maçonnées recouvertes de pierre de parement, avec une priorité donnée à la restauration et à la consolidation des murs entre les terrasses. L’escalier des boucheries, aménagé en 1693, fut restauré et intégré au jardin dans son état initial. Les travaux furent confiés à l’entreprise Pavy et respectèrent un cahier des charges stricts visant à retrouver, par l’usage de moellons locaux et de mortier de sable, l’aspect initial du mur. 6000 moellons furent positionnés à la main. En 1980, l’année du patrimoine, l’inauguration des travaux fut célébrée par une grande fête publique. Plus tard, la création des jardins prévus dès 1981 fut associée à un projet de mise en lumière mené par le maire R. Jarry et récompensé en 2000 par un prix (Plan lumière).
Les enjeux pour la ville
Entretemps cependant, l’affaire avait pris une tournure juridique : les occupants des maisons détruites attaquèrent la ville en demandant des dommages et intérêts, et la ville se retourna contre l’entreprise Cardem en lui réclamant au Tribunal administratif le versement des sommes considérables induites par les travaux de démolition et de reconstruction de l’enceinte, le rachat des immeubles entre les numéros 11 et 23 de la rue Saint Flaceau et les frais annexes, soit plus de 4 millions de francs (700 000 euros). Des experts furent mandatés pour déterminer les responsabilités respectives des parties, et au terme de la procédure une solution amiable fut trouvée en 1985.
Ce spectaculaire accident, inscrit dans le contexte de la très controversée « pénétrante nord » perçue comme une menace pour l’enceinte côté Sarthe, aggrava le ras-le-bol des Manceaux envers la municipalité sortante. Il s’était produit en novembre 1976, quelques mois seulement avant les élections municipales. Or, la municipalité sortante était accompagnée de la réputation de démolisseuse, après avoir largement entaillé le bâti urbain avec la rénovation du Vieux Mans et les travaux de la Percée centrale, ce gigantesque quartier moderne en plein cœur de ville (https://provincedumaine.wordpress.com/la-percee-centrale-le-mans-brutaliste/). La population mancelle était fatiguée par ces bouleversements, l’évènement qui portait sur cette partie du Vieux Mans (rue de la Porte-Saint-Pierre), par ailleurs peu fréquentée, l’a frappée. C’en était trop. Le maire fut accusé d’incurie et critiqué pour avoir participé à la soirée de gala organisée à l’abbaye de l’Epau dans le cadre des Journées Nationales des Communautés Urbaines, le jour même où les maisons du Vieux Mans s’étaient effondrées. Au-delà de ses implications politiques, l’affaire contribua à sensibiliser les citoyens et la municipalité du Mans à l’importance de restaurer et de protéger l’enceinte. En 1979, les associations firent entendre des cris d’alerte pour « sauver les remparts » (http://cite-plantagenet.org/echotier/1979/06/sauvons-les-remparts-du-vieux-mans/) et en 1980, déclarée l’année du Patrimoine, les historiens appelèrent vigoureusement à une action pour « sauver l’enceinte » (L’Echotier, J. Guilleux : http://cite-plantagenet.org/echotier/1980/03/1980-annee-du-patrimoine). C’est donc un des événements également qui incitèrent le plus la municipalité à demander l’aide financière de l’Etat et de la Région pour la restauration de l’enceinte, demande qui aboutit à la signature d’une convention à la fin de la même année.
Auteur : Marianne TREGOUET, 28 avril 2024
Modifié par E. Bertrand, mai 2024.
La tour du Vivier flanque l’enceinte romaine du Mans sur sa face occidentale le long de la Sarthe, à proximité immédiate de la porte appelée « Grande poterne ». Elle devrait son nom à la fontaine bordant la rue de la Porte-Sainte-Anne, le long de laquelle elle se situe. D’après Joseph Guilleux, c’est la tour qui conserve l’image la plus proche de son aspect originel.
Sa construction
Cette tour organique a une emprise de 7,40 mètres sur le mur d’enceinte, pour 5,15 mètres de saillie ; sa forme en demi-cercle à talon, ou en U, présente 1,50 mètre de partie rectiligne pour un rayon de 3,65 mètres. S’élevant à plus de 13 mètres, ses murs sont épais d’1,10 mètre à la base et 0,80 mètre à l’étage. Elle repose sur un soubassement de trois rangées de blocs tandis que son parement, décoré de motifs géométriques comme le reste de l’enceinte, est conservé sur treize plages encore visibles. Comme la tour Madeleine, elle dispose d’une chambre basse aveugle surmontée d’une chambre haute éclairée de trois baies en arc en plein cintre ouvertes vers l’extérieur. Ces dernières, larges d’1,10 mètre et hautes d’1,30 m permettaient aux défenseurs d’effectuer des tirs de flanquement au pied de la courtine.
Sa restauration
Présentant un faux devers de 85 cm du sommet à la base, signalé dès 1942 par l’architecte en chef Julien Polti, et fragilisée par les bombardements de 1944 qui provoquaient des lézardes inquiétantes, elle fut étayée en urgence à partir de novembre 1949 : vingt familles occupant des logements dans la tour et à son pied étaient menacées par les risques d’effondrement, alors que la ville manquait de logement pour les évacuer. Dans un contexte compliqué par l’établissement de la propriété de la tour, et par un désaccord entre la ville et l’une de ces familles occupant la tour portant sur les responsabilités et les participations financières, une batterie d’étais fut apposée et la réfection commença par la consolidation des fondations ; mais les travaux furent stoppés, en l’absence de compromis entre la ville et les occupants de la tour. De surcroît, l’impossibilité pour la ville de trouver une solution de relogement pour les familles habitant encore rue de la Verrerie et le retard pris par la construction de l’égout diminuaient l’efficacité des étais. Les mesures provisoires s’avérèrent insuffisantes et, en 1951, le ministère alerta sur les risques imminents d’effondrement des maisons de la rue de la Verrerie, voire du mur lui-même, sur les logements de la rue de la porte Sainte-Anne en contrebas, et donc sur le risque de nombreuses victimes. Un programme plus conséquent dut donc être préparé. La restauration proprement dite ne débuta qu’en 1962, sous la surveillance de l’architecte des Monuments Historiques. Les travaux furent confiés à l’entreprise Lévêque, Mantillon (Orne) -toiture, charpente et escalier- et à l’entreprise Pavy, Le Mans – gros-œuvre et maçonnerie. En parallèle la municipalité entreprenait la construction d’un égout.
Le poids de la tour fut calculé et évalué à environ 370 tonnes, ce qui donna lieu à la réalisation d’un chaînage en béton ; il fallut creuser jusqu’à dix-sept mètres de profondeur pour compenser la déclivité de la tour. Enfin, le travail pour nettoyer et rejointoyer la façade s’acheva en 1975, après plus de dix ans de travaux. Les abords de la tour, alors encore encombrés de constructions modestes en partie ruinées, furent dégagés puis aménagés en espaces verts dans le cadre des travaux d’aménagement du quai Louis Blanc consécutifs à l’abandon du projet de pénétrante (lien avec la fiche). La signature de la convention entre la ville et l’État en 1980, visant à la restauration et à la mise en valeur de l’enceinte, achevèrent la réhabilitation de la tour et de ses abords : en mars 1989, la municipalité vota l’aménagement des abords des tours de Tucé, Saint-Hilaire et du Vivier avec surfaces engazonnées, muret de protection et circulations vers la Grande Poterne ; les travaux furent réalisés en 1994 pour un coût total de 151 802,07F TTC sur le budget municipal.
Auteur : Arthur Corre, M2 Histoire, février 2024.
Modifié par Estelle Bertrand, avril 2024.
La rénovation du Vieux Mans et la voirie le long du quai Louis Blanc
Après la seconde guerre mondiale, dans le cadre de la revitalisation du Vieux Mans conduite sous les maires Jean-Yves Chapalain (1947-1965) puis Jacques Maury (1965-1977), le quai Louis Blanc, construit en 1872, fit l’objet de plusieurs projets de rénovation urbaine. Entre 1961 et 1963, un premier programme, conçu par l’architecte urbaniste Albert Laprade (1883-1978), architecte pionnier des secteurs sauvegardés (Sarlat, le Marais à Paris) et architecte de la reconstruction du Mans, prévoyait la réhabilitation du quartier Saint-Benoît et du quai par la destruction du bâti ancien et la construction d’immeubles HLM le long d’une large voirie. L’enceinte devait être dégagée et précédée d’un jardin public, mais les nouveaux immeubles, offrant une façade rectiligne de près de 400 m de long, qui devaient comprendre trois à six étages droits, l’auraient masquée. Le Ministère, par le biais de l’architecte en chef des Monuments Historiques, dont relève l’enceinte et ses abords, approuva globalement le projet, sous réserve de diminuer la hauteur des immeubles, mais les habitants, par l’association « Renaissance du Vieux Mans » et de son trésorier, Guy Porcheron, s’y opposèrent fermement et s’inquiétèrent de la disparition du vieux quartier et de l’invisibilisation de l’enceinte (lettre à M. le Maire du 1er avril 1962 ; lettres au Ministre). Le projet dut être révisé : le Ministère recommanda de morceler les unités immobilières pour ménager des vues sur le rempart depuis le quai, de prévoir une couverture en ardoise et l’emploi de matériaux traditionnels. En 1966, l’architecte en chef des monuments historiques Pierre Prunet, en charge de la Sarthe, de la Mayenne et de la Loire-Atlantique (1964-1974), se vit confier le projet revu selon les recommandations du Ministère : de nouveaux aménagements avec de petits îlots d’un étage espacés les uns des autres et rythmés par l’enceinte, furent alors prévus, avec voie rapide et voirie en trémie. Seul le quartier Saint-Benoît, déclaré insalubre par les autorités, fut réhabilité dans le cadre de ce nouveau programme (en réalité ce quartier était, à tort, déclaré insalubre, car les propriétaires n’étaient pas autorisés à lancer des travaux de restauration. On se trouvait, ici, comme lors de la transformation du centre de la ville, avec la Percée Centrale, devant un conflit entre les défenseurs du patrimoine et des urbanistes désireux de “moderniser” un quartier. De belles demeures de Saint-Benoît y ont laissé leurs pierres !).
Le projet de « pénétrante nord »
Ces projets de voirie, s’ils ne virent pas le jour, firent toutefois émerger des réflexions autour des axes de circulation en centre-ville, des liaisons avec les nouveaux pôles de développement en périphérie et avec l’autoroute de l’ouest dont le tronçon jusqu’au Mans était en construction au début des années 1970. À partir de 1972, un projet de 4 voies, devant permettre la jonction entre la future autoroute A11 et le centre-ville fut proposé par l’État. Cette voie d’une longueur de 5500 mètres devait relier le centre ville et l’autoroute en quelques minutes. En préparation, la ville acheta les terrains en bord de Sarthe, et les habitations furent détruites le long du quai Louis-Blanc, malgré l’avis des associations de sauvegarde du patrimoine.
En 1975 le tracé, passant par Coulaines et Saint-Pavace, fut présenté au public. La pénétrante nord devait rejoindre le boulevard Demorieux en passant en contrebas de l’enceinte romaine du Mans. Les associations s’opposèrent fermement au projet : leurs craintes portaient sur l’impact des travaux de creusement en bord de rivière sur la fondation de l’enceinte, sur la circulation des véhicules et la pollution liée aux gaz d’échappement, sur les conséquences des vibrations causées par le trafic routier. Quant aux Manceaux, ils étaient excédés par la décennie qui venait de s’écouler, faite d’une succession de travaux – ceux de la Percée Centrale et de l’aménagement de la place de la République, en particulier – qui avaient lourdement perturbé le cours de leur existence. L’une des raisons de l’échec du maire sortant, Jacques Maury, en 1977, fut la réputation de démolisseur du patrimoine – et pas seulement antique- qui lui fut attribuée. À cela, s’ajoutait le désarroi des habitants de Coulaines et Saint-Pavace, dont le territoire allait être balafré par cette large voie. L’affaire de la pénétrante nord fut la goutte en trop.
Devant l’opposition virulente des habitants et associations, le nouveau maire Robert Jarry (1977-2001) et le conseil municipal à majorité communiste modifièrent le projet de tronçon routier jouxtant l’enceinte. En septembre 1977, la municipalité annonça que le réseau routier des berges de la Sarthe ne serait pas différent des autres voies du centre-ville, et que des aménagements seraient réalisés afin de générer le moins de vibrations possibles sur l’enceinte. Le projet de pénétrante nord fut abandonné.
Cependant le 28 décembre de la même année, le Conseil d’État déclara les travaux de construction de la pénétrante d’utilité publique, et contredit le projet de la municipalité. Cette décision fâcha grandement la population mancelle, première concernée, qui s’estimait ignorée par le Conseil d’État. Le nouveau projet préparé par les services de l’Equipement avait un coût moindre (5 millions de francs tout de même) et prévoyait un passage en trémies au niveau des ponts Gambetta et Yssoir, pour diminuer l’impact négatif. La municipalité y donna son feu vert à 28 voix contre 15, mais sous réserve d’aménagements et à condition que toutes garanties soient données sur d’éventuelles répercussions sur la fondation de la muraille. « Effectivement, la menace de la pénétrante nord ne disparut pas immédiatement avec l’élection de la liste Jarry. Elle a longtemps plané et nous nous sommes, un temps, demandé si la municipalité n’allait pas s’aligner sur le projet en cours, comme elle le fera pour la “rénovation” du quartier Saint-Benoît. » (témoignage S. Bertin)
L’abandon du projet et le dégagement de l’enceinte romaine
La construction de cette voie rapide n’eut toutefois jamais lieu, puisqu’il fut finalement décidé que la jonction entre le centre-ville et la porte de l’Océane, soit l’échangeur routier permettant d’accéder à l’A11, serait aménagé au nord de la ville dans la commune de la Chapelle Saint-Aubin, donnant accès au centre-ville via l’avenue Rhin et Danube, ainsi qu’à l’ouest de la ville, avec une sortie à La Foresterie, et l’arrivée en ville par la route de Laval et l’avenue Rubillard) Le 12 juillet 1978, l’autoroute reliait Le Mans à Paris. Le long du quai Louis Blanc, les espaces libérés en prévision de la « pénétrante nord», devinrent des terrains vagues, occupés par des parkings sauvages et offrant un triste paysage de détritus en tout genre, dont les riverains ne manquèrent pas de se plaindre. Ils furent dès lors aménagés en parkings provisoires mais ce n’est qu’à partir de 1984/85, dans le cadre du programme de restauration de l’enceinte, qu’ils commencèrent à être aménagés en espaces verts. La section à droite du tunnel, de la tour du Vivier à la tour Saint-Hilaire, fut concernée en premier, tandis que la section à gauche du tunnel, de la tour du tunnel à la tour des Pans de Gorron, fit l’objet d’une nouvelle campagne de travaux à partir de 1994, pour un montant de 25 millions de francs. Dès lors la population prit réellement conscience de l’existence de cette « muraille », jusqu’alors négligée, car camouflée derrière un bâti protecteur.
Désormais dégagée et sauvée d’aménagements routiers risqués, l’enceinte bénéficie d’un écrin vert tout au long du quai Louis Blanc, tout en devant être surveillée, en raison des nouveaux risques environnementaux et climatiques auxquels son dégagement l’expose.
Auteur : Bertrand, juin 2024 avec la collaboration de Serge Bertin, mai 2024.
Le projet
Dès le début du XIXe siècle, la ville du Mans connaît un fort développement démographique et industriel et révise son plan d’urbanisme. En 1849, pour faciliter la circulation des habitants entre les faubourgs de la rive droite et la ville moderne, le conseil municipal, sous la présidence du maire Paul Surmont, propose de construire une voie directe afin de relier la place des Jacobins au pont Yssoir et vote le principe d’un tunnel. En 1851, une galerie de 197 m de long fut donc construite sous la vieille ville et empruntée quotidiennement par près de deux milliers d’ouvriers. Néanmoins, elle fut fermée au public dès 1855 en raison de risques d’effondrement et de problèmes de sécurité, si bien que le projet de tunnel fut abandonné le 2 février 1857. Cependant, un projet similaire d’une plus grande ampleur fut relancé par la municipalité en 1865. Sa conception fut confiée à Eugène Caillaux , qui, après avoir exercé au Mans comme ingénieur des Ponts et Chaussées, avait été nommé à Paris ingénieur en chef attaché à la compagnie des Chemins de fer de l’Ouest. Celui-ci proposa cinq projets : le premier en tout tunnel, le second en tout tranchée, le troisième en moitié-tranchée / moitié-tunnel, le quatrième par liaison Jacobins / rue des Chapelains puis double rampe vers la rivière et le cinquième par contournement. En 1867, la municipalité opta pour l’aménagement d’une galerie moitié en tunnel et moitié en tranchée, pourvue de squares d’entrée, le tout pour un coût estimé à 850 000 francs. Ce tunnel devait se substituer à l’ancienne galerie exploratoire, mais nécessitait d’effectuer une brèche à la fois dans et sous l’enceinte romaine.
La construction
En raison de la guerre contre la Prusse, les travaux furent reportés et ne débutèrent qu’en 1872, encadrés par les ingénieurs Pierre Thoré et Théophile Ricour auxquels la municipalité avait entretemps confié le projet. C’était, depuis les élections de 1871, la municipalité d’Anselme Rubillard, républicain farouchement hostile au monarchiste Eugène Caillaux , en ces débuts houleux de la IIIe République, qui gérait le projet. On peut donc supposer que des raisons politiques n’ont pas été étrangères au dessaisissement de Caillaux. L’inauguration eut néanmoins lieu les 29, 30 septembre et 1er octobre 1877 en présence de son concepteur, Eugène Caillaux alors devenu ministre des Finances, de Monseigneur d’Outremont, évêque du Mans, des autorités militaires et politiques et d’une foule considérable. Cet ouvrage de deux cents mètres de long, vingt mètres de large (en comptant les escaliers) et vingt-huit mètres de hauteur en son centre, fut ouvert à la circulation des véhicules, des piétons, puis du tramway (1897). Vingt arches voûtées de part et d’autre du tunnel permettaient de soutenir l’édifice et ont longtemps abrité des petits commerces avec parfois des logements à l’étage. Le nom de Wilbur Wright fut donné en 1920 à la voie associée à ce tunnel, afin de rappeler les premiers vols maîtrisés d’un engin plus lourd que l’air réalisés par l’Américain au Mans en 1908. Une statue honorant l’aviateur, réalisée par le sculpteur du Christ de Rio de Janeiro, Paul Landowski, fut inaugurée et installée à l’entrée du tunnel côté Jacobins en 1920, avant d’être déplacée sur le pont de fer en 2012 à la suite de travaux de rénovation des abords. Aujourd’hui, le tunnel Wilbur Wright, controversé chef d’œuvre de l’architecture du XIXe siècle dénoncé par Robert Triger en 1891 comme une cloaca maxima (« un gigantesque égout »), est un axe routier très fréquenté et malaimé des Manceaux, en dépit des expositions photographiques temporaires ou des aménagements d’espaces verts qui tentent d’améliorer son aspect.
Le tunnel et la destruction de l’enceinte
Si l’aménagement de ce tunnel a grandement facilité l’accessibilité à la ville dans un contexte d’essor industriel, les dommages sur l’édifice romain ont été considérables, malgré son inscription sur la liste des Monuments Historiques dès 1862. En effet, la réalisation de ce tunnel a nécessité l’usage de la dynamite pour percer le mur dès 1874, au grand dam des érudits qui dénoncèrent dans la presse locale un acte de « vandalisme » : le 2 juillet 1876, paraît dans l’Union de la Sarthe, la traduction du texte d’un érudit anglais spécialiste de Guillaume le Conquérant, Edward Freeman, qui dénonce « les anciens murs ont été percés et la vieille cité elle-même fendue en deux. Par un immense travail qui rappelle celui de Trajan perçant le Quirinal, la cité a été coupée en deux parties avec un gouffre béant au milieu. Le vieux mur romain est donc effondré et la meilleure partie des maisons du XIIe siècle impitoyablement balayée », tandis que La Sarthe publie le même texte in extenso dans sa livraison du 4 juillet. Les érudits locaux relaient également les critiques du savant anglais : l’abbé Robert Charles y souscrit dans la Revue historique et archéologique du Maine (https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k4153201/f449.item#), et le Bulletin Monumental, l’organe de publication de la Société Française d’Archéologie fondée par Arcisse de Caumont, reproduit le texte en reconnaissant son bien-fondé (https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k30869r/f678.item).
De fait, les travaux réalisés sans mesure de consolidation des parties éventrées de l’enceinte entraînèrent à la fin du XIXe et au début du XXe siècle l’effondrement de certaines parties de l’édifice. Cet événement eut pour effet de déclencher des demandes visant la « mise en sécurité » de l’enceinte émanant des habitants auprès de la municipalité. Deux opérations de consolidation de l’édifice furent entreprises afin de prévenir et d’éviter tout nouveau risque de dégradation. Il faut néanmoins souligner que le tunnel avait été percé dans une section de l’enceinte déjà passablement ruinée, si l’on en juge les gravures antérieures à 1870, et que la tour dite du tunnel fut épargnée par les travaux.
Quoi qu’il en soit, la construction du tunnel a permis l’émergence d’une prise de conscience visant sa conservation et sa mise en valeur. À ce titre, les actions entreprises par la suite (étude et analyse de l’enceinte, interpellation de la presse et de spécialistes, plan de dégagement présenté à la municipalité) par Robert Triger (1856-1927) historien du Maine, Président de la Société historique et archéologique du Maine et membre de la Société française d’archéologie, à partir des années 1890, ont révélé l’importance patrimoniale de l’enceinte romaine du Mans.
BERNOLLIN Vincent, MEUNIER Hugo,
La muraille du Mans dans son environnement. Étude diachronique, rue Wilbur Wright (Sarthe), [Rapport de recherche] CAPRA, 2014. HAL Id: halshs-01717800.
https://shs.hal.science/halshs-01717800
PORCHERON G., « Dans le vallon du Merdereau : la place des Jacobins : l’inauguration du tunnel, 29 30 septembre et 1er octobre 1877 »,
La Vie Mancelle et Sarthoise, 211, mai-juin 1982, p. 27-29.
TRIGER R.,
Les grandes transformations anciennes et modernes de la ville du Mans,
Le Mans, 1907.
Auteur : Camille PAGEOT, M1 Histoire, LMU ;
Modification : Estelle Bertrand et Serge Bertin, mai 2024.
Contexte
Le dégagement de la tour en bas du tunnel et la découverte de la poterne du tunnel au Mans en 1953 constituent un événement archéologique majeur qui a contribué à enrichir la connaissance des entrées de la ville romaine tardive. Jusque-là, seules étaient connues quatre portes piétonnes, à baie unique – sur la face occidentale de l’enceinte la Grande poterne, la petite Poterne, la poterne de Gourdaine, sur la face orientale une poterne à proximité de la maison Saint-Bertrand disparue sans doute dès les travaux de construction du chœur gothique de la cathédrale (1217-1254) – et une porte à baies multiples pour véhicules, la porte Saint-Martin, au niveau du décrochement formé par l’enceinte à l’angle de la rue des fossés Saint-Pierre et de la collégiale Saint-Pierre La Cour.
La découverte
Une poterne en bas du tunnel a été mise au jour de manière inattendue lors des travaux de nettoyage de la tour du tunnel. Celle-ci était en partie recouverte de constructions modernes et était surveillée de près par les services de l’État : non seulement elle présentait une inclinaison prononcée, que d’aucuns attribuaient à un affaissement – en réalité elle pouvait être liée au rôle de contrefort assuré par les tours de l’enceinte-, mais ses maçonneries étaient fragilisées par les racines d’un arbre remarquable, un arbre de Judée très ancien auquel la population était attachée. Les travaux furent engagés en 1953, à la demande pressante de l’architecte en chef des Monuments Historiques, R. Vassas, qui fit valoir le danger pour la tour et, en cas d’effondrement, pour les promeneurs du petit jardin public situé à son pied (lettre au secrétaire d’Etat aux Beaux-Arts, service des Monuments Historiques, le 20 novembre 1952).
Le dégagement fit apparaître, à 3 m au nord de la tour, le départ d’un arc en plein cintre partiellement conservé fait de briques et de mortier rose, ainsi que deux murs parallèles de part et d’autre permettant d’identifier une poterne jusque-là inconnue. Cette porte à une baie est large de 1,88m, profonde de 4,20m et haute de 3,55m sous la voûte, soit des dimensions inférieures à celle de la Grande Poterne. Une partie de l’arc a disparu en raison de l’affaissement du piédroit gauche sur une profondeur de 44 cm dans le sol humide. Des encoches, révélant le système de fermeture d’une porte, avaient été aménagées dans les premiers blocs des deux piédroits : à droite, un trou dans lequel devait être introduite une barre de bois, à gauche une glissière dans laquelle la barre se logeait pour ainsi bloquer la porte. Ces encoches sont aujourd’hui quasiment invisibles en raison de la dégradation des pierres. Les jambages de la porte sont en effet composés de gros blocs de calcaire superposés, tandis que la partie supérieure est en briques assemblées au mortier.
Poterne, ou « porte marine » ?
Paul Cordonnier-Détrie (1896-1980), alors correspondant des Antiquités Historiques de la Sarthe et de la Mayenne qui rendit compte de la découverte, fut intrigué par le niveau auquel se situait cette poterne, inférieur à celui de l’une des portes conservées sur la même face de l’enceinte côté Sarthe, la Grande Poterne. Il proposa l’hypothèse d’une porte « marine », donnant un accès direct à la rivière, voire un embarcadère, déduite des nombreux éléments de bois retrouvés au-devant de la porte. Cette hypothèse, retenue sur le moment par l’érudit André Bouton (Maine Libre, 23/12/1953), a été écartée par J. Guilleux à la suite de la reprise de l’étude : le niveau de la porte, dont le seuil présentait un dénivelé de 6m par rapport à la rivière, ne permettait pas d’y accéder directement.
Depuis sa découverte, la porte a fait l’objet de plusieurs campagnes de restauration tendant à lui redonner son image d’origine.
Auteur : M. Tregouet, février 2024
Modification : E. Bertrand, juin 2024.
L’enceinte urbaine du Mans est un témoin de l’art militaire et de la politique de l’Empire romain entre le IIIe et le Ve siècles ap. J.-C.
Une datation renouvelée
Jusqu’en 2018-2019, la construction de l’enceinte romaine du Mans était estimée par les historiens et archéologues aux alentours de 280 de notre ère, donc très peu de temps après la construction de l’enceinte d’Aurélien à Rome (271-282). Or les analyses récentes analyses récentes menées dans le cadre du Programme Collectif de Recherches « L’enceinte romaine du Mans. Bilan des connaissances » (M. Monteil, H. Meunier, A. Durand dir. ; Nantes Université-Le Mans Université), ont permis d’établir la construction de l’enceinte entre 320 et 360, sous Constantin ou ses successeurs, donc dans un contexte de renforcement de l’Empire, qui passe par une consolidation militaire et défensive des provinces.
Le contexte : des troubles du IIIe siècle au rétablissement de l’autorité romaine
L’assassinat d’Alexandre Sévère en 235 de notre ère souligne la fin du Haut-Empire et le début d’une ère marquée par de nombreuses crises : extérieures avec les assauts des populations ennemies aux frontières de l’empire (Germains, Perses, Alamans, Goths) ; intérieures avec de nombreux troubles fragilisant la société romaine (inflation monétaire, révolte paysanne, brigandages, affaiblissement du pouvoir central). Néanmoins, ces troubles commencent à s’achever vers 270 lorsque l’empereur Aurélien rétablit l’unité et l’autorité de l’empire en combattant ses concurrents politiques et les envahisseurs, mais surtout en dotant Rome, capitale de l’Empire d’une enceinte de 19 kilomètres (271-282). Ainsi, cet évènement annonce le Bas-Empire ou Antiquité tardive marquée, à partir de l’empereur Dioclétien (284-305), par le rétablissement de l’ordre et de l’unité de l’Empire grâce à des réformes politiques, administratives et économiques ainsi qu’une subdivision des provinces et un renforcement militaire de leur contrôle. Ainsi entre 250-270 et le milieu du IVe siècle, la plupart des villes capitales de l’empire sont dotées d’une enceinte, une innovation radicale, car la plupart d’entre-elles en étaient dépourvues. Ces enceintes partageaient des traits communs à l’échelle de l’Empire puisqu’elles étaient toutes soumises à l’autorisation impériale et relevaient toutes de l’architecture militaire romaine avec des dispositifs de défense passive et active, des modes de construction spécifiques (réutilisant des blocs d’anciens monuments publics ou funéraires du Haut Empire). Néanmoins, les matériaux, les épaisseurs des courtines, les formes de tours, la superficie et la monumentalisation pouvaient varier en fonction des cités.
Un ouvrage de défense
Ainsi, l’édification de l’enceinte du Mans répond à une volonté de protéger la cité. En effet, Le Mans ou Vindinum a longtemps été le chef-lieu (ou ville capitale) des Aulerques Cénomans en Gaule Lyonnaise. Ce site est occupé depuis longtemps (VIII-Ve avant JC), et dispose d’un fleuve offrant un axe de circulation commode. Après la conquête de la Gaule par César (58-50 av. J.-C.), la ville destinée à accueillir les institutions locales s’épanouit au tournant de notre ère sur la rive gauche de la Sarthe, sur les pentes du promontoire et probablement en son sommet, et en fond de vallée du ruisseau Isaac. Des équipements urbains y sont avérés : des thermes, un édifice de spectacles, un (plusieurs ?) sanctuaires, un forum (supposé à l’emplacement de l’actuelle mairie) composent la parure monumentale de la capitale, tandis que se développe un artisanat profitant du cours d’eau et un habitat bénéficiant de l’aménagement en terrasses des pentes orientales du ruisseau. À partir de 250 de notre ère, l’agglomération semble se rétracter et se concentre en grande partie sur le promontoire de l’actuelle cité Plantagenêt. Cette butte facilite l’édification de l’enceinte qui va en faire le tour et ainsi réduire la ville à 8,5 hectares (alors qu’elle en faisait entre 50 et 80 au milieu du IIe siècle, et encore une trentaine au IIIe siècle). La décision d’édifier cette enceinte aurait été prise par les élites locales en accord avec l’autorité impériale, au moment de la réforme provinciale – Vindinum étant désormais incluse dans l’une des nouvelles divisions de la Gaule Lyonnaise, la Lyonnaise IIe puis IIIe à la fin du IVe siècle.
Ainsi, l’édification de l’enceinte relève de l’art militaire. Le plan aurait été établi par un architecte ou un ingénieur militaire ou fonctionnaire impérial. L’enceinte est construite sur une butte à pentes prononcées cernée par la Sarthe et le ruisseau d’Isaac, favorisant sa défense ainsi que la mise en place d’autres dispositifs défensifs (fossé, pièges…). Le chantier de construction aurait été conséquent, long (dix ans selon Joseph Guilleux) et aurait mobilisé une main-d’œuvre plus ou moins importante sans doute constituée de divers corps de métiers, locaux ou non. L’enceinte romaine comportait une quarantaine de tours dont dix-neuf sont encore visibles aujourd’hui. Le mur fait environ 4 à 5 mètres d’épaisseur à sa base et s’élève à près de 10 mètres, non compris le couronnement qui a disparu. Il a été construit selon une technique romaine à base de mortier liant un appareil pierreux entre deux parements. Faiblement fondée et appuyée sur un soubassement de gros blocs taillés spécialement ou réutilisés, l’élévation soignée est constituée de rang de moellons superposés alternant avec des rangées de trois ou quatre briques. De plus, l’enceinte relève également de l’art militaire romain puisque les murs et les tours cumulent des dispositifs de défense passive notamment avec la monumentalisation des courtines, ainsi que de défense active avec la mise en place d’un chemin de ronde et de tours de flanquement. On ignore si elle a véritablement servi à défendre la ville dans l’Antiquité tardive, mais on sait en revanche, d’après une liste des fonctionnaires et officiers de l’Empire, la Notitia Dignitatum (fin IVe siècle ap. J.-C.-début Ve), qu’un bataillon de soldats d’origine suève, dans l’actuelle Allemagne du sud, établis dans l’Empire pour y cultiver des terres en échange de service militaire pour les jeunes gens, les lètes gentiles, fut stationné sous l’autorité d’un préfet à la fin du IVe siècle ou au début du Ve siècle chez les Cénomans. La ville fortifiée servit donc probablement de quartier général d’un haut représentant du pouvoir impérial.
Un ouvrage de prestige singulier
Néanmoins, l’une des grandes particularités de cette enceinte est sa couleur et ses décors. En effet, elle a été construite à partir de ressources locales dont notamment le grès roussard, un grès ferrugineux de couleur rouille-rouge. La teinte rosée des murs extérieurs est également renforcée par l’emploi d’un mortier auquel furent ajoutés des éclats de terre cuite pour en assurer l’étanchéité. De plus, les calcaires et grès locaux ont été associés au roussard pour la création de motifs variés de diverses couleurs. En tout, quatorze motifs distincts ont été disposés sur huit mètres de frise (chevrons, fleurs, colonnes, x…), dont certains se retrouvent sur d’autres édifices sarthois (villas, temples) antérieurs.
L’enceinte romaine du Mans a donc une fonction défensive, mais aussi symbolique. En effet, si la construction d’enceintes de ce type est pensée pour répondre aux menaces extérieures et intérieures (piraterie, brigandage), le caractère monumental et ostentatoire de l’enceinte favorise également la valorisation du prestige et du pouvoir de la ville, mais également de l’Empire. En effet, les frises apparaissent uniquement sur la face externe des remparts, elles servent donc à promouvoir l’image de la ville.
L’enceinte a subi de nombreuses modifications tout au long des périodes. Ses fonctions ont également évolué en fonction des problématiques variées durant les époques. Néanmoins, en dépit des aléas du temps, le tracé et la structure de l’enceinte sont encore préservés aujourd’hui à plus de 50% et ont contribué à modeler la ville jusqu’à nos jours.
Bouillet Julie, Augry Stéphane, Bertrand Estelle, Meunier Hugo, Monteil Martial
Au pied du mur : l’enceinte romaine du Mans, Le Mans, Musées du Mans ; Gand, Edition Snoeck, 2022.
Guilleux Joseph
L’Enceinte romaine du Mans, Saint-Jean-d’Angély, Editions Jean-Michel Bordessoules, 2000.
Institut National de Recherches Archéologiques Préventives (INRAP)
Au pied du Mur, l’enceinte romaine du Mans, 2022,
Lien vers la source.
Pour citer : Camille PAGEOT, 2024 – M1 Histoire
Modifié par : E. Bertrand, juin 2024
L’objet du programme Mumatourisme était d’analyser la fabrique patrimoniale de l’enceinte romaine au prisme des processus de mise en tourisme, en mettant en relief le tournant stratégique opéré depuis la conclusion de la convention Ville-Etat pour la sauvegarde de l’enceinte et la valorisation de la Cité Plantagenêt en 1981. Il s’agissait également de comprendre l’intérêt récent des populations locales, des visiteurs, des acteurs du tourisme et des acteurs économiques face à la renommée d’un tel label, tout comme son instrumentalisation dans le marketing territorial. Cette étude s’est appuyée sur la comparaison internationale avec des sites similaires classés (Lugo, dont l’enceinte est classée au Patrimoine mondial depuis 2000, et Rome, dont l’enceinte est classée au titre du Centre historique depuis 1980) afin de saisir les critères de patrimonialisation UNESCO et de comprendre comment d’autres espaces patrimoniaux fortifiés ont réalisé leur mise en tourisme. La recherche, résolument pluridisciplinaire en associant historiens, archéologues, géographes, architectes, a eu pour objectif de comprendre sur la longue durée les interactions entre la connaissance (historique, archéologique) de l’objet et l’évolution des pratiques touristiques.
La volonté de la municipalité d’obtenir l’inscription de l’enceinte tardo-antique sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO a été à la fois le témoin et le facteur d’un changement dans les modes d’appropriation de l’enceinte par les habitants et les touristes. Le rejet du premier dossier de candidature sur la liste indicative française en 2012 intitulé « La cité Plantagenêt – Le Mans, L’Unique et l’Universel » a obligé la Ville à changer de stratégie et à mettre en avant un élément patrimonial spécifique, la muraille romaine, l’une des mieux conservées d’Europe et la seule intégralement décorée, visible à plus de 50%. Ce changement de stratégie s’est accompagné d’une meilleure mise en valeur de l’objet patrimonial justifiant une nouvelle analyse des pratiques touristiques à son égard.
La recherche s’est appuyée sur une enquête en ligne (https://www.ouest-france.fr/pays-de-la-loire/le-mans-72000/le-mans-muraille-romaine-ce-qu-en-disent-les-habitants-et-les-touristes-f9ddb13a-c877-11eb-8f1f-3b7d990d69f5) et des entretiens associés à la collecte d’archives publiques. Les premiers résultats ont fait l’objet de publications en ligne (liens vers la fiche Atlas social du Mans en ligne : https://atlas-social-du-mans.fr/index.php?id=749) et ont été présentés dans le cadre de l’exposition Au pied du mur. L’enceinte romaine du Mans, qui s’est tenue au Carré Plantagenêt entre mai 2022 et mai 2023 (https://www.lemans.fr/dynamique/des-idees-de-visite/les-musees/les-expositions-temporaires/au-pied-du-mur-lenceinte-romaine-du-mans). Ils ont encouragé la poursuite des travaux dans le cadre d’un nouveau programme, incluant la dimension participative, MURUS. Murailles Romaines à l’Unesco et Sociétés.
Bibliographie :
Implanté au cœur du Mans, à proximité de la place des Jacobins, le musée Jean-Claude Boulard-Carré Plantagenêt, inauguré le 18 juin 2009, représente un lieu de préservation et de mise en valeur de l’histoire et de l’archéologie du Mans et de son territoire, depuis la préhistoire jusqu’à l’époque médiévale. Occupant les anciens locaux de l’imprimerie Monnoyer, elle-même installée dans l’ancien couvent des Filles-Dieu jusqu’en 1984, le musée s’étend sur une superficie de 1 200 m² répartis sur deux niveaux. À l’étage, dans la section consacrée à l’Antiquité tardive, un espace est entièrement dédié à la présentation de l’enceinte romaine : ouvert par des baies vitrées sur la section du mur visible sous l’hôtel de ville, il favorise le dialogue entre les objets et les vestiges conservés dans la ville.
L’accent est mis sur les aspects les mieux connus du monument au moment de l’ouverture du musée, qui a précédé la reprise des recherches des années 2010 et 2020 : le chantier de construction, bien étudié par l’archéologue Joseph Guilleux, est représenté à travers une maquette, des plaquettes explicatives et du mobilier correspondant : outils utilisés pour le chantier, matériaux de construction, dont un fragment de corniche d’un bâtiment monumental réutilisé dans le soubassement. Enfin, une aquarelle réalisée en 2014 par Jean-Claude Golvin (insérer lien vers le site de Jean-Claude Golvin : https://jeanclaudegolvin.com), archéologue et ancien architecte, spécialiste reconnu des restitutions par l’image des sites antiques, évoque la ville du Mans enserrée dans son enceinte au IVe siècle et permet de comprendre la rétraction de l’espace urbain qui accompagna la construction de l’enceinte.
Suite à l’exposition Au pied du mur, le parcours a été enrichi de nouveaux dispositifs présentant au public les résultats des recherches les plus récentes. Un dessin de Marc-Olivier Nadel, représentant le chantier de construction tel que les archéologues le restituent aujourd’hui, a été intégré dans les collections permanentes. Un film (insérer le lien : https://centmillionsdepixels.com/html/lms.html) reconstitue en 3D l’évolution de l’enceinte, de sa construction à nos jours, montrant la place qu’elle occupe dans la ville et comment celle-ci évolue autour d’elle. Un film d’animation présente les méthodes scientifiques de datation ayant permis d’établir la nouvelle fourchette chronologique de l’enceinte (entre 320-360). Pour suivre l’avancée des recherches, la séquence, jusqu’ici intitulée « Une enceinte romaine – IIIe siècle », a d’ailleurs été renommée « Une enceinte romaine – IVe siècle ». Enfin, le jeu sur la reconstitution des décors caractéristiques de l’enceinte est désormais proposé au jeune public de manière permanente.
Dans les prochaines années, le Musée Vert fermera ses portes et sera fusionné avec le Carré Plantagenêt dans le but d’associer les collections d’histoire naturelle avec les collections archéologiques afin de créer un parcours retraçant l’histoire du Mans des origines du monde à aujourd’hui. Dans ce projet, la valorisation de l’enceinte, dont la connaissance a été largement renouvelée, constituera un axe fort de la présentation de l’histoire du Mans.
Auteur : Albane Lucas, M1 Histoire, LMU, 2023/24
La Nuit des Chimères au Mans, événement emblématique de la mise en valeur de la cité Plantagenêt et de son enceinte, s’inscrit dans une démarche artistique et patrimoniale qui fusionne l’histoire de la ville avec des expressions artistiques contemporaines. Chaque année, cette manifestation créée en 2005 propose une exploration nocturne des richesses architecturales du Mans à travers des projections sonores et lumineuses.
La Nuit des Chimères vise à aller au-delà d’une simple mise en lumière des édifices historiques de la ville. Les bâtiments emblématiques comme la cathédrale Saint-Julien et l’enceinte romaine deviennent ainsi des toiles sur lesquelles sont projetées des séquences visuelles qui s’appuient et jouent avec l’architecture des monuments évoquant différentes périodes de l’histoire locale ou d’autres thèmes comme l’œuvre d’Antoine de Saint-Exupéry, Le Petit Prince.
Cette démarche, menée en collaboration avec des artistes locaux et internationaux comme Skertzò, s’accompagne de créations sonores et musicales, ce qui renforce le lien entre le spectateur et l’œuvre. Dès la tombée de la nuit, les rues de la vieille ville se transforment en un parcours artistique, invitant les visiteurs à découvrir les différentes installations disséminées à travers le centre historique. Ces installations, soigneusement conçues, s’inspirent de moments clés de l’histoire locale, évoquant des personnages historiques, des événements marquants, des monuments ou éléments architecturaux significatifs et emblématiques de l’image de la ville.
Cet événement culturel permet à la ville du Mans d’attirer des milliers de touristes et habitants chaque année et de leur faire découvrir l’enceinte romaine. Au-delà de la dimension artistique et touristique, la Nuit des Chimères s’inscrit dans une volonté de sensibiliser la population à son propre patrimoine. En offrant une nouvelle perspective sur des édifices familiers, comme l’enceinte romaine du Mans, l’événement encourage une réflexion sur l’importance de préserver ce patrimoine tout en embrassant les expressions artistiques contemporaines.
Bibliographie : Bazin-Benoît, Sylvie, Christophe Beckerich, et Marie Delaplace. « Valorisation touristique du patrimoine et dessertes TGV. Le cas de quatre villes intermédiaires proches de Paris », Revue d’Économie Régionale & Urbaine, vol.5, 2014, pp. 865-883.
Site de la ville du Mans : https://www.lemans.fr/extra/la-nuit-des-chimeres, consulté le 04/01/2024
Auteur : Jonas EVEILLEAU, Master 2 Histoire, Civilisations, Patrimoine, parcours Métiers de l’histoire 2023/2024.
En 1999, quatorze sites manceaux sont mis en valeur par le plan-lumière conçu par Pierre Bideau (1941-2021) , spécialiste de l’illumination architecturale auquel on doit, entre autres, la mise en lumière de la tour Eiffel depuis 1985. Une deuxième tranche de cette illumination du patrimoine est entreprise à partir de 2001 : dix sites supplémentaires sont concernés, dont d’autres sections de l’enceinte romaine, pour un montant estimé à 4,9 millions de francs (un peu moins un million d’euros).
Le projet
La première mention dans les archives d’une intention d’éclairer l’enceinte romaine remonte à 1977, avec pour but de rendre la vieille ville plus accueillante mais aussi de remédier à l’insécurité. Le plan lumière est réellement lancé en 1981 avec pour objectif une illumination totale de l’enceinte pour le passage à l’an 2000, soit un projet de vingt ans. Il s’inscrit dans le cadre du programme de restauration et de mise en valeur de l’enceinte décidé en 1980, tout en s’inspirant du développement de l’illumination nocturne dans les villes françaises et européennes : le cas de l’éclairage du quartier de la « petite France » à Strasbourg, avec ses maisons à colombages, sert notamment de point de référence en 1984. La réalisation du projet connaît plusieurs étapes, jusqu’au projet de Pierre Bideau pour le passage à l’an 2000.
La première zone illuminée de l’enceinte romaine est la rue des fossés Saint-Pierre et la rue Saint Flaceau, entre 1981 et 1982. S’en suivent l’escalier de la grande poterne et la première section de l’enceinte romaine côté Sarthe entre 1986 et 1987. Peu après, en janvier 1988, la section de la rue Saint-Hilaire entre la tour de Tucé et la Tour des Ardents est illuminée. En 1994, en parallèle des travaux d’aménagement du quai Louis Blanc, des essais d’éclairage sont réalisés sur la partie droite du tunnel où se trouve la tour Madeleine, ce qui aboutit en 1999 à l’éclairage complet de l’enceinte côté Sarthe. Durant la même période, entre 1998 et 1999 est éclairée l’enceinte bordant l’escalier des Ponts Neufs. En 1999, le concours spécial « Lumières et monuments », organisé par le Serce (Syndicat des entrepreneurs de réseaux et de constructions électriques) et Philips Eclairage sous le patronage du Ministère de la Culture pour fêter l’an 2000, attribue le grand prix de l’ « illumination pérenne » (valorisation du patrimoine pour l’an 2000), d’un montant de 220 000 francs, à la ville du Mans, venant reconnaître les efforts consentis.
Les enjeux
Le plan-lumière, un plan d’organisation et de mise en place de l’éclairage d’un site touristique, a différents objectifs, dont la mise en valeur du patrimoine : l’une des principales intentions du plan lumière était de mettre en lumière le patrimoine architectural et historique du Mans, y compris l’enceinte romaine. En illuminant cette structure historique la nuit, le plan lumière a contribué à rendre plus visible et plus accessible cet élément du passé de la ville mais aussi la Cité Plantagenêt. La section entre la tour des Pans de Gorron et la tour du Tunnel fit l’objet de nouvelles installations dans les années 2010 visant à révéler, par un éclairage distinct, les parties antiques des ajouts postérieurs.
Par conséquent, l’éclairage de l’enceinte romaine a contribué à créer une ambiance particulière dans les rues avoisinantes avec des spots lumineux le long des courtines et au pied des tours, offrant aux habitants et aux visiteurs une expérience lors des promenades nocturnes. Cette mise en lumière a ajouté une dimension esthétique à la ville la nuit, renforçant ainsi son attractivité touristique. En mettant en lumière l’enceinte romaine, le plan lumière a également contribué à sensibiliser le public à l’histoire de la ville et à son passé romain. Les illuminations peuvent susciter l’intérêt des visiteurs et des habitants pour l’histoire locale, favorisant ainsi la préservation et la valorisation du patrimoine historique, ce qui est par exemple le cas avec la Nuit des Chimères lancée depuis 2005.
Sitographie :
Auteur : Albane Lucas, M1 Histoire, LMU – 26/02/2024 – Modifié Estelle Bertrand, mai 2024.
La candidature
La candidature s’inscrit dans le cadre de la politique culturelle de la Ville du Mans visant à valoriser son patrimoine remarquable notamment dans et autour de la vieille ville. Cette vieille ville, connue de tous les Manceaux sous le nom de Vieux Mans, a échappé aux tentations de destructions radicales des années 50 et 60 et est protégée au titre d’un secteur sauvegardé défini en 1966 et appliqué en 1974. Réhabilité depuis lors, le cœur historique du Mans a été rebaptisé « Cité Plantagenêt » pour rendre mieux compte de son passé et se débarrasser de l’image négative de quartier populaire et mal fréquenté attachée au « Vieux Mans » (en réalité bien des Manceaux continuent d’utiliser le terme qui leur est plus familier). Quant à l’enceinte qui délimite encore le centre historique, elle a fait l’objet depuis 1980 d’un programme systématique de dégagement et de restauration ayant autorisé des études archéologiques approfondies. La monographie de Joseph Guilleux, tirée de sa thèse de doctorat soutenue à l’Université du Maine, en est l’un des résultats les plus significatifs. En 2002, l’obtention du label Ville d’art et d’histoire, délivré au Mans par le Ministère de la Culture, a favorisé le développement de nouvelles actions de médiation en direction de tous les publics portées par le Service Tourisme et Patrimoine.
Le contexte Unesco
La candidature est légitimée par l’état de conservation remarquable du mur (plus de 50%), le caractère unique de son décor polychrome et l’ampleur des recherches historiques qui en font l’une des enceintes tardives les mieux connues d’Europe. Elle emporte l’adhésion des habitants qui la trouvent justifiée à près de 95 %, d’après une enquête en ligne menée auprès de 780 habitants par les chercheurs de Mumatourisme (lien vers la fiche) en 2021. Pour construire le dossier de candidature, un comité d’experts regroupant archéologues, historiens et géographes, spécialistes du patrimoine et des stratégies Unesco, s’attache à définir, avec la Ville et le Ministère de la Culture, la Valeur Universelle Exceptionnelle (V.U.E) de l’enceinte romaine, en identifiant sa singularité par rapport aux exemples de fortifications connues à ce jour toutes périodes confondues. L’élaboration du dossier mérite d’autant plus de soin et de temps que la démarche de candidature à l’Unesco doit répondre à des exigences de plus en plus strictes. La France est l’un des cinq pays au monde les mieux dotés en biens inscrits, et le comité Unesco a limité à un seul le nombre de biens culturels que la France peut présenter chaque année, pour favoriser un rééquilibrage à l’échelle mondiale. Ce contexte rend difficile la première étape à franchir, celle de l’inscription sur la liste indicative des biens français qui correspond à une présélection. À cette première difficulté s’en ajoute une deuxième : l’enceinte romaine du Mans est bel et bien l’un des exemples les mieux conservés des fortifications tardives édifiées dans l’Empire romain entre le IIIe et le Ve siècles, mais c’est l’enceinte romaine de Lugo (Espagne) qui a été inscrite à l’Unesco en 2000 comme « le plus bel exemple de fortifications romaines tardives en Europe occidentale » (https://whc.unesco.org/fr/list/987/). Plusieurs scénarios sont donc envisagés pour obtenir la prestigieuse inscription, depuis le bien unique jusqu’au bien en série « enceintes romaines tardives », dont Lugo pourrait être le point de départ et Le Mans l’une des composantes. Mais le choix, délicat, de la stratégie la plus opportune relève non plus du comité d’experts mais bien de la décision politique.
Quoi qu’il en soit de l’issue de la démarche, elle aura permis de susciter de nouvelles recherches et une meilleure connaissance du monument, et favorisé une collaboration internationale fructueuse tant avec les chercheurs qu’avec les associations de défense des enceintes de Rome et de Lugo.
Bibliographie :
Auteur : E. Bertrand, juin 2024.